La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a. C’est bien le problème des disques de reprises des années 70, constitués par des assemblages hétéroclites et homovages de chansonnettes souvent déjà tubesques emballés de criardes pochettes où l’on fait s’alanguir ou gigoter de blondes naïades à peine pubères en des poses supposées séductrices et généralement vaguement dérangeantes de mièvrerie parfois, de salacité souvent, de vulgarité toujours. Le résultat est généralement assez pitoyable, tant musicalement que picturalement.
On en viendrait donc à s’interroger sur ce qui différencie fondamentalement en cette année 1973 Mario Cavallero, son orchestre et ses chanteurs et David Bowie, ses araignées martiennes et ses platform boots . Pas grand chose en fait, y a pas à tortiller du sphincter. De premier visu, la laideur bleutée de la pochette de Pin Ups annonce la couleur sur le fond. Même pour l’époque, le lettrage n’est même pas digne d’une apprenti composeur offset en descente d’acide maquettant un tract de pare-brise pour l’ouverture d’une nouvelle djeanerie concurrente au Pantashop de la rue de la Gare (face au Palais de Justice). Les bustes hagards de Twiggie en phase de décrépitude post LSD et de Bowie en hallucinants errements précocaïnovores finissent de décourager à étiqueter dans le catalogue des plus belles pochettes d’album cette devanture vinylique (existe également en musicassette et cartouche 8-pistes). À la rigueur, on collerait bien ce Pin Ups dans les junkyards de pochettes pourraves qui fleurissent sur le net, dans les powerpoints obstruant nos boîtes mail et dans les rayons spécialisés des librairies musicales d'un caractère douteux.
Pouloulou c’que c’est laid !
Pourtant, les camarades savaient emballer un chouia plus subtilement cette même année, qui en de soyeuses ambiances érotoglam, qui par des artifices de séduction plus... comment dire... chaleureux.
Au moins, ça c'est de la Pin Up !
Dans le dedans de l’intérieur de cette pochette d'un goût venu des bordures extérieures de la galaxie, la galette, seul disque de Bowie cité par Manœuvre dans ses 100 meilleurs albums de tous les temps (que du bon qui s'annonce, donc) livre un collier de nouilles sonores pas forcément plus classieuses que ce que Claude Dauray (dirigeant en 1973 sous le nom de The Electronic's) ou Pierric/Janin balançaient à la même époque (ah, finalement, il semblerait que Manœuvre se soit gouré ou qu'il a tourné la langue 7 fois dans la bouche de Maneval ou je ne sais quelle raison mais en fait on s’en siphone les noyaux sérieusement grave).
Certes, la sélection bowesque tire plutôt vers d’anciens tubes, voire vers des titres plus obscurs, là où les compilateurs industriels enquillaient les meilleures ventes du dernier trimestre en une compilation prête à danser dont l’opportunité visait à refiler aux masses pécuniairement peu à leur avantage un ersatz des musiquettes qui affolaient les ondes périphériques à des fins de trémoussage de fin de mariage et autres communions du p’tit Pascal dans l’arrière salle graisseuse du Relais Napoléon au carrefour de la RD 484 et du boulevard Thiers. Dans l’un et l’autre cas, on se retrouve quand même avec de belles bousasses côtoyant de rares pépites, le tout entrelardé façon oignons et poivrons flétris sur brochettes de cœurs de volailles par des morceaux originellement moyens interprétés moyennement. Comment en est-on arrivé à une telle convergence vers la médiocrité alors que tout tendait vers une dissociation hyperbolique entre là les suceurs de succès de baloche de province et leurs livraisons saisonnières de reprises minables et ici l’étoile montante de la pop glamour en un projet alors encore inédit de revisitation intime d’inspirations juvéniles ? Parce que quand même, on ne mélange pas les tâcherons et les serviettes, a fortiori cuir pleine peau. Dans les quelques années précédant cet infâme et passable Pin Ups, Bowie avait produit une belle tripotée de bijoux, et était barré pour en éjaculer quelques autres bien de leur facture dans les ans suivants.
S’il suffisait de déterrer les pièces les plus rutilantes ou les plus chatoyantes du British boom et du Swinging London et de les réempaqueter façon Ziggy pour faire du Bowie authentique, on serait en heur de s’interroger sur le si peu de succès que connut Mungo Jerry. Nan nan nan, est une imposture prétentieuse, principalement gerbable pour son caractère d’imposture puisque cette édition n’est pas à la hauteur de ses prétentions.
Bon, afin de ne pas faire exactement comme les originaux, on reconnaîtra quelques innovations dans l’interprétation, dans le recalibrage, dans le rythme voire dans la répartition retravaillée des refrains, chorus et divers breaks dont il est fait ici un usage intempestif. Pourtant, l’ensemble ressemble à tant d’albums de glamrock où l’on a l’impression que chaque passage est génial mais dont la durée sur des minutes de chansons et sur des dizaines de minutes d’un album font passer le moindre des concerts de reggae pour une plongée dans le meilleur de Sonic Youth et de Pavement réunis. Sévèrement maquillés pire que des bagnoles en refourgue, le grimage des morceaux de Pin Ups rappelle sa pochette : on voit bien qui c’est, mais le résultat est ridiculement laid. Les artifices les plus vulgaires et attendus de l’époque sont usés et abusés : des roulements de batterie en retenue ou en accélération omniprésents, des clapotis de piano par-ci par-là qu’on dirait que le mec il veut à tout prix faire comme Mike Garson (le problème étant que c’est Mike Garson), des bouts de chœurs balancés comme des cuivres du pauvre à tout bout de champ pour faire monter la sauce quand la voix s’étiole, un saxophone immonde en beta-testing des 80’z, la rythmique grattée comme dans un groupe de skiffle de la banlieue de Sheffield par un mec qui ferait mieux de s’inspirer de Mick Ronson (le problème étant que c’est Mick Ronson), une production volontairement hachée pour faire rock’n’roll, et des morceaux heureusement assez courts mais malheureusement trop courts pour y développer une ambiance Zigguienne, enfin bon, la totale qui ne rend utile ce disque que pour celui qui recherche un condensé des tics les plus grotesques du glam. Pasque bon, si Ziggy s’était officiellement retiré des voitures depuis quelques mois, l’année 1973 le voyait omniprésent dans la production de Bowie, pour le meilleur (Alladin sane, où tout n’est que Stardust, de la pochette aux chansons jusqu’au flux tourneboulant de deux faces qui laissent sans souffle) comme le pire (toute la belle équipe est là pour ce piteux Pin Ups, c’est à n’y rien comprendre).
« Et les morceaux ? » me direz-vous (si si, je vous entends). Eh bé, ce n’était pas la peine pour les ayant droits d’en autoriser la reprise si c’est pour contempler de tels choix trop disharmonieux pour faire un ensemble cohérent, et trop semblables pour en magnifier les précieux caractères originels.
Même cette grande fofolle de Daltrey, dont les années 70 ont été un grand toboggan de descente en caraco à franges décolleté jusqu’au gland vers les tréfonds de la vulgarité massacrant les plus beaux joyaux commis par les qui-vous-savez au mitan des années 60, même le papa à Freddy, donc, a du avaler de traviole son bol d’amphéts en découvrant la double baston infligée à I can’t explain puis Anyway, anyhow, anywhere, petits brûlots d’époque ici traités par la bande à Bowie façon américain-pâté-sauce cocktail, le rototo final obligé même pas sur option. Pire : les compos des gloires du Garage sont jouées baroques, comme si les Kinks ou les Pretty Things étaient plus sexy en collant lamé argent. Them et les Yardbirds ont perdu toute once de blues dans un vague rock twisté (mon dieu, Shapes of things !). Il n’y a guère que le Pink Floyd de Syd Barrett pour bénéficier d’un traitement légèrement différencié, un peu plus inspiré et allongé façon 4 premiers albums, mais malheureusement façonné comme une caricature de psychédélisme pour maison de retraite (Jean Nohain devait être en cabine ce jour-là). Quand je vois Émily jouée ainsi, j’en viens à regretter qu’elle ne mourut pas dans l’anonymat en 67.
Brefle, on ne va pas se faire frire le slip au court bouillon plus que ça en dévidant chaque chanson en un chapelet de désespérance pour se recentrer sur l’objet principal de ce disque que nous éviterons de qualifier d’album et s'interroger légitimement : pourquoi ? Mais pour le flouze voyons ! comme Mario Cavallero et ses éditeurs, comme toutes les maisons de disque de seconde zone qui depuis 20 ans déjà et pour encore de nombreux lustres avaient déjà apprécié vivement ce qui nous désole tant ces dernières années : mieux vaut pomper les créations des autres et les rejouer le plus vulgairement possible que de se casser l’oignon à cuisiner d'originaux Space Oddity et autres Hunky Dory : on en vendra autant.
Parfois plus, même.
Mais ça, évidemment, personne n’ose le dire.
PS : D'aucuns se questionneraient sur la présence incongrue de L'homme qui venait d'ailleurs au milieu de la crème de la production discographique septantienne, et ils auraient bien raison, jusqu'à déflorer le pot aux roses d'un Bowie Blog Tour 2009 des plus bling bling.