6 juillet 2008
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19:00
Faire toaster avec classe Jimmy Cliff sur du Jean-Michel Jarre, c'est l'avantage concurrentiel que les bristoliens de Massive Attack possèdent sur le reste de la scène électro anglo-continentale. Porte-étendards de ce que les journalistes de la Fnac et les auditeurs mayennais de Bernard Lenoir nomment le trip hop, le "groupe", tantôt trio, tantôt duo quand il ne se résume pas à une entreprise unipersonnelle, égrène ses productions de lustre en lustre, cultivant l'attente de ses fans pour mieux écouler les galettes rendues plus rares, à défaut d'être plus fraîches.
Car enfin ! : pourquoi se gargariser de ces glauques et convenues compilations d'ambiances sonores pour galeries marchandes alors que ces bidouilleurs au charisme de pelleteuse agricole ne font que caresser dans le sens du poil l'atavisme cocoonier régressif de foules adulescentes en mal de morbidité synthétique et binaire pour rendre moins plates leurs invitations à l'apéro dînatoire de leurs voisins d'escalier dont ils espèrent, en de soyeuses convivialités d'immeubles de centre-villes, retisser le tissu social atomisé par l'individualisme grandissant d'une société en mal de repères identitaires.
Massive Attack, donc. Y a pas mieux pour repartir à l'assaut d'une identité dissoute et rebâtir une grille culturelle commune, avec force volupté morbide d'une musique patchwork, collage de gommettes musicales chopées dans des vieilleries vinyliques provenant de Detroit, Kingston et Blackpool, catalogue post-moderne de références, enfilées en chapelets de petites madeleines de rock, pop et soul comme autant de validations de passages obligés d'une érudition musicologique subculturelle labellisée Wire et NME (alors qu'elles s'adressent surtout aux lecteurs de Roque et Floque).
Comble de ce dandysme prozaquien que même cette loque de des Esseintes aurait compissé, Mezzanine dispute au roublard OK Computer le titre d' "album des années 90" par son enfilage au kilomètre et à la tonne de bravoures funèbres rythmées par un dub mollasson et assaisonnées d'échantillons périmés mais z-incontournables de nouwève dûment estampillée "atteution : morceau culte". Rompant avec la blue eyed soul honnête bien que peu originale de ses deux premiers albums et demi (et demi si l'on crédite le ramasse fric No Protection, compilation de remixes pour warm up de bar-mitzvah par le très scolaire Mad Professor), brefle, cherchant à renouveler sa machine à cash en anticipant sur l'annoncé revival cold wave qui n'allait alors tarder (on était en 98), les trois loustics ont gardé les mêmes recettes en les agrémentant de nouveaux condiments putassiers dont on peut faire une rapide visite guidée.
Au chapitre du concept fort, marque déposée et procédé caractéristique de base permettant l'indexation facile pour analyses érudites de JT de chaînes hertziennes et autres conversations de BDE d'écoles de commerce, Massive (comme on dit dans notre jargon de technico-commerciaux de chez Canon) invite des beugleuses à la voix éthérée pour punaiser dans la stratosphère des mélodies sirupeuses que des infrabasses numériques tendent à riveter à la croûte terrestre dans un mouvement diamétralement inverse. Tiraillement auditif, dissociation phonique, brouillage des perceptions auriculaires (sans contrepèterie), ce décalage sensoriel génère un malaise interne, comme un mauvais jetlag, ou pire : comme un roulis persistant après le passage en bac de Douvres à Calais.
Le trouble est amplifié par la grâce angeline des stridulences d'une Liz Fraser échappée des Cocteau Twins empopisés ou d'un Horace Andy promenant sa voix de fausset sur des mélopées légèrement moins cannabiques qu'à son habitude, quoique. Ces voix féminines et tourneboulantes tendent à transporter l'auditeur dans un métamonde onirique où il appréciera la justesse des tweeters de ses enceintes B&O et la suavité d'un splif de marocain de première bourre. Tels des Gainsbourg rosbifs, les Massive Attack font pousser jusque contre-uts quasi ultrasonores la crème des chanteuses-à-QI anglo-saxonnes, de Tracey Thorn (la chanteuse d'Everything but the girl, pas la hardeuse, voyons) à la très constante et jamais agaçante hystéro catho anti-papiste Sinead O'Connor. Remarque, il ne s'agit nullement d'une critique mal intentionnée mais d'un hommage à leur présence d'esprit, vu qu'ils chantent comme des Jean-Patrick Capdevielle mal dégrossis de leur dernière cuite à la Brains, les trois chimistes numériques de Massive Attack.
Le trouble est amplifié par la grâce angeline des stridulences d'une Liz Fraser échappée des Cocteau Twins empopisés ou d'un Horace Andy promenant sa voix de fausset sur des mélopées légèrement moins cannabiques qu'à son habitude, quoique. Ces voix féminines et tourneboulantes tendent à transporter l'auditeur dans un métamonde onirique où il appréciera la justesse des tweeters de ses enceintes B&O et la suavité d'un splif de marocain de première bourre. Tels des Gainsbourg rosbifs, les Massive Attack font pousser jusque contre-uts quasi ultrasonores la crème des chanteuses-à-QI anglo-saxonnes, de Tracey Thorn (la chanteuse d'Everything but the girl, pas la hardeuse, voyons) à la très constante et jamais agaçante hystéro catho anti-papiste Sinead O'Connor. Remarque, il ne s'agit nullement d'une critique mal intentionnée mais d'un hommage à leur présence d'esprit, vu qu'ils chantent comme des Jean-Patrick Capdevielle mal dégrossis de leur dernière cuite à la Brains, les trois chimistes numériques de Massive Attack.
Car oui, Mezzanine n'est pas uniquement cet attrape-couillon magique et vendeur à l'excès parce qu'il réunit de bonnes chanteuses en les faisant exécuter quelques pop songs potables catapultées par-delà les octaves depuis des nappes de synthé piquées à Tangerine Dream, cet album est avant tout l'édification professionnelle certifiée ISO 8004 d'une "charte de références à l'usage des producteurs de groupes d'électro et de rock européen", donnant les règles et les sources constituant le cahier des charges désormais obligatoire pour la production de tout album durant les années 2000.
Côté sources, Mezzanine se garde bien de n'utiliser que des samples originaux (originaux dans le sens "provenant directement des artistes pompés", pas dans le sens "étonnants", vu que la réutilisation du gimmick sabbato-nocturne de Cure et d'autres micro-extraits de lieux-communs de la pop octante au fil des chansons de Mezzanine est plus qu'éculée (aucune contrepèterie non plus)). L'album revisite aussi, par des sonorités allitérantes bien qu'en plusieurs points distinctes des versions originales ici pillées, les plus grands succès des années 70 blaxploitatiques et les plus sûres sonorités post-punk des eighties anglaises, sans en reprendre exactement mélodies et harmonies (pour des raisons de droits d'auteur ? allez savoir), les épousant jusqu'aux moindres clichés pour produire au finale un disque qu'on a l'impression d'avoir entendu 10 000 fois ("Ah ouais, j'connais. Y sont super, faut que je les achète là") mais qui paraît d'une folle modernité ("Ouh la la ! ce que c'est moderne !").
Côté règles, rien de bien nouveau pour ceux qui ont du pognon pour se faire produire par une major, mais une nouvelle exigence pour tout un chacun (les fameux 80%) qui veut se la péter en sortant encore un album inutile dans le commerce et qui contribua notablement à la transformation du rock, hier humble composition de chansons avec une guitare, trois accords et deux litres de bière, aujourd'hui savante programmation de scripts Java avec force renforts de Coca-light et autres fonds d'écran Simpson (Homer ou Jessica, c'est selon) : une équipe de nerds bricole chez soi des loops et des samples ("Ouh la la ! ça aussi ça sonne moderne"), les glisse par mail au chef de projet multimédia qui les compile sur des sortes de Power-points sonores, reliftés par d'autres mecs encore pour ne pas faire crasher les ondes FM, pour finir de temps à autres en tête de gondole, le plus souvent en fonds de bacs, sous forme de cédés avec livret collector en une bouillie très onctueuse, ici une oppressante purée Mousline dont les morceaux de jambon auraient été remplacés par des vieux cafards pourris et dont on fera avec mélancolie un petit volcan pour mettre ses larmes dedans (faut qu'ça chiale, c'est du trip hop).
On pourrait lire dans les lignes précédentes une certaine acrimonie narquoise devant ce procédé tiré du marketing sonore de la plus belle facture. Bah, laissons les fans éructer leur indignation bien légitime (car chacun sait qu'un fan d'électro est parfaitement incapable de tout jugement musical digne d'intérêt) puisqu'il n'en est rien : il s'agit ici d'une bêtasse description objective et démythifiée d'un album pas trop mal torché mais qui, à l'écoute de chacun de ses morceaux comme de son ensemble, ne fait finalement que s'attacher à tromper les sens des auditeurs en usant et abusant de sonorités et d'ambiances hyperémotives et vaguement mortifères. Il est vrai qu'il est toujours plus risqué d'offrir à son auditoire des musiques aux structures innovantes qui ouvriraient des portes à la création d'imaginaires fertiles et critiques plutôt que de leur balancer des excursions nostalgiques dans le top 20 des albums pour chaînes hi-fi, glauques bluettes flatteuses et confortables, rarement curieuses, jamais dérangeantes.
Allez, faut-il conclure sans donner au moins quelque satisfecit à l'un ou l'autre des caractères notables de ce bricolage talentueux ? Un bon point pour le mixage ? Une breloque pour la délicatesse des drapés ? L'accolade pour un bon moment passé sur la route des RTT d'un mois de mai vers la Normandie à donf' sur le Blaupunkt de l'Ibiza Tdi ? Hm ? Nan. Que dalle ! Ce n'est pas parce que Mezzanine n'est pas mauvais qu'il est bon pour autant ; la filouterie de sa production de saurait faire oublier la banalité de ses chansons et la malhonnêteté de sa production markettée.
Mais ça, évidemment, personne n'ose le dire.
La note : M'ouais...
La raison de cette chronique moins Pop Hits que Top of the flops ? Z'avez qu'à suivre le lien et vous informer sur d'autres révélations exclusives et brillantes sur la vérité vraie des baudruches musicales qu'on veut nous faire prendre pour des carrosses.